Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/157

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dit l’enfant. Il l’appelait belle parce qu’elle était en rouge, ce sauvage enfant !

— Où, là-bas ? — fit-elle. — Sur la Vigie ?…

— Non, là-bas, » dit l’enfant ; et il lui montra le côté de la roche opposé à la tour.

Cela était possible. La falaise est si vaste ! On la monte si lentement ! Elle savait avec quelle peine elle la montait… Cependant, l’enfant pouvait se tromper. Il avait l’air idiot d’ailleurs… Elle continua son ascension vers la Vigie. Quand elle y arriva, épuisée, l’enfant avait dit vrai : ils n’y étaient plus. Ah ! qui comprendra cette souffrance ? Elle appela Ryno. Elle attendit, elle écouta, elle regarda cette embrasure où elle avait vu cette femme que les bras de son mari en avaient arrachée devant elle. « Eh bien, — dit-elle, pâle de crainte, d’inquiétude, de douleur pressentie, — qu’y a-t-il là qui doive me troubler ? Elle allait se tuer, il l’aura sauvée. Qu’y a-t-il là qui doive me faire l’horrible mal que je ressens ?… » Et tout en raisonnant, elle pleurait sans savoir qu’elle pleurait. Cette femme inconnue, quelque chose lui soufflait que, pour Ryno, ce n’était pas une inconnue, rencontrée là au moment où elle allait se jeter à l’eau. L’instinct du malheur défaisait tous ses raisonnements. Il opposait à la raison son épouvantable évidence. Ah ! quand le malheur met sur nos