Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/188

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d’œuvre du bon Dieu, quoi ! une mince quenouille d’ivoire comme en font les marins à Dieppe, frêle et fragile à casser dans la main qui l’aurait touchée un peu fort. Ce n’était pas fait, voyez-vous ! pour aller avec des marins, gens d’acier et de corde, qui, hors la discipline, crient, blasphèment, se saoulent, se battent et, sauf votre respect, font l’amour comme les bêtes les plus indomptées de ce monde déchu ! Pauvre Caroline !… les officiers et tout l’équipage l’appelaient du nom de leur bâtiment. Qui sait ? c’était peut-être leur bâtiment qu’ils avaient appelé comme elle. Toujours est-il, pour en finir, qu’ils avaient sculpté à leur gaillard d’avant une blanche figure qui ressemblait à la sienne… qui avait l’air de s’ennuyer à labourer éternellement les vagues, de la pointe de son sein, autant qu’elle à écouter leurs propos ivres, dans la fumée des pipes et la flamme du punch ! Non, elle n’était pas faite pour aller avec des marins, et cependant elle y était ! À bord, ils étaient presque tous fous d’elle… Ils étaient comme ensorcelés de cette pauvre tombée de neige qu’ils emportaient sous toutes les latitudes, comme un échantillon de leur pays. Elle ! elle n’aimait personne, pas même le capitaine. On disait qu’elle avait le mal du pays. Un soir, c’était le jour de la Vierge, un vent chargé de pluie avait