Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tation d’organes malades et l’échauffement fiévreux des tenaces pensées. Elle écoutait Ryno d’un air plus ivre que confiant, et le cœur enflammé de son sourire s’éteignait dans une espèce d’égarement sombre, — comme un œillet rouge qu’on tremperait dans quelque âcre poison noir pour le faire mourir. Elle entendait la voix de son mari lui dire si tristement qu’elle était aimée, lui répéter (mais avec des accents si étranges et qu’elle n’avait jamais entendus) des paroles qu’elle eût mieux aimées seules, car seules, elles l’avaient persuadée. Maintenant, elles ne la persuadaient plus. Elles n’avaient plus que la force de l’avoir naguères persuadée, mais c’était un talisman encore… Il la tenait toujours dans ses bras comme il l’y avait prise, et faisait ainsi à ses reins puissants une ceinture fermée qu’elle ne cherchait pas d’ailleurs à briser. Il avait le visage à la hauteur de ces flancs si purs, tendus déjà sous les influences de la grossesse, comme la voile qui se tend à la brise avant de complètement s’arrondir, et nulle pensée de volupté ne s’élevait en lui quand il sentait respirer contre son front et sa bouche ce beau corps, abri douloureux de tant de mystère, cet être doublé et palpitant d’un autre être qui commençait à se mouvoir dans le doux et chaud chaos du sein maternel. Ce n’était alors pour lui qu’un tiède berceau où dormait la vie dans