Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/236

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plus avant sur les dards coupants où leur sang coule, et à s’enferrer jusqu’au cœur. Un mouvement pareil me pousse à toi, Vellini, depuis le jour où je t’ai revue. Tous nos souvenirs dormaient en moi sous les souffles placides et tout-puissants d’Hermangarde. Je t’ai vue. Tu as remué toutes ces couches de choses mortes qui se seraient dissoutes peu à peu dans ma mémoire, et, comme un enfant qui fait lever la peste pour toute une contrée, en remuant les boues d’un marais avec son pied, toi, avec un appel sans amour à la vie passée, tu as semé la contagion de ton âme dans mon me, et empoisonné mon bonheur !

— Je sais tout cela ! — fit-elle, tranquille. Elle avait posé sa tête sur la poitrine qui venait de rugir cette violente douleur, et après que tout ce tonnerre eut grondé et éclaté sur ses cheveux : — Je sais tout cela ! — répéta-t-elle. — C’était écrit. Nous avions partagé la vie comme une pièce d’or qu’on coupe en deux pour en emporter chacun la moitié, mais la vie n’est pas comme ce métal inerte, — ajouta-t-elle en rompant le peigne d’or qu’elle tenait à la main et dont elle envoya les deux bouts sur l’aire, comme s’ils avaient été les débris d’une baguette de coudrier. — Il faut que tôt ou tard les deux bouts se rejoignent ; il faut que les tronçons des cœurs se rapprochent, ne fût-ce que pour