Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/261

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c’est lui qui l’embrasse maintenant. Ah ! malheureuse Hermangarde, regarde par le trou du volet, regarde ! regarde ! » Et elle retombait pantelante sur son lit. Ryno, déchiré, souffrait d’une inconsolable pitié. Les larmes le gagnaient comme un enfant. « Ah ! ne pleure pas, — disait-elle, comme si elle avait vu ses larmes par une intuition supérieure à la raison et aux sens ; — ne pleure pas ! Est-ce que tu pleures parce que je te dis de la chasser ? Garde-la dans tes bras si tu l’aimes, mais bouche le trou de ce volet… que je ne vous voie plus et que je m’en aille ! que je m’en aille… J’ai eu bien froid en venant, mon pauvre Ryno, » reprenait-elle du ton d’une chose simplement racontée. Et elle se prenait à grelotter. Ses dents claquaient. Ryno souffrait de telles angoisses, qu’il aurait désiré que le délire le prît aussi et frappât de mort sa raison. « Ah ! si ma grand’mère le savait ! — ajoutait-elle rêveusement avec une atroce innocence de cruauté. — Mais n’aie pas peur, Ryno, je ne le dirai pas… Il ne faut pas le lui dire, n’est-ce pas, mon amour ? C’est si facile de mourir sans parler !… « Et elle se taisait alors pour prouver qu’elle pouvait se taire, mais c’était Ryno qui mourait. Oui ! il mourait puni, châtié, supplicié par ce délire dans lequel sa conscience épouvantée entendait comme la voix de Dieu.