Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/280

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beau du Diable, une personne qui était venue là pendant qu’ils étaient descendus dans le souterrain. C’était ce vieux mendiant de Sortôville-en-Beaumont, qui, un soir, au bord du feu allumé dans les mielles, pour radouber le brick Espagnol, avait raconté devant Vellini l’histoire de la blanche Caroline. Il revenait de sa tournée dans les communes voisines, et, fatigué, il reprenait haleine un instant. Sa gaule ferrée, qu’il portait contre les chiens — car les hommes n’attaquent pas les pauvres — et pour sauter les fossés pleins d’eau, était près de lui. Il avait dénoué les cordes qui tenaient son bissac et il dînait avec des croûtes données par les fermiers des environs. Courbé sous son chapeau rougi par les intempéries et dont les larges bords ressemblaient à la couverture d’un four à chaux, il se livrait au plaisir animal de manger, avec le recueillement d’une créature solitaire. Espèce de Saturne, vieux, aveugle et sourd à ce monde extérieur étalé devant lui, il dévorait un pain aussi dur que les pierres, en face de cette magnifique nature qui ne disait rien à son âme. Il était un des habitués du samedi au manoir. Ryno, qui craignait peut-être quelque commérage de cuisine de la part de ce mendiant, vida sa bourse dans le chapeau qu’il lui tendit.

— « Que le bon Dieu et la sainte Vierge et