Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/283

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dans les sables mouvants des mielles aussi aisément que sur le pavé de la grande allée d’une église. Il se fait temps de filer notre nœud. »

Et ils partirent, l’un avec l’autre, comme s’ils s’étaient toujours connus. Ryno les vit descendre la falaise, et suivit de l’œil jusque sous les maisons de Carteret la longue vareuse[1] de toile du mendiant et le mantelet de ratine de Vellini. Ils s’en allaient lentement en causant, tous les deux. Ryno ne pouvait s’empêcher d’admirer la souplesse de cette Vellini, qui frayait si vite avec un mendiant Bas-Normand, comme elle l’eût fait avec la plus brillante société de France ou d’Espagne. Lui qui avait eu l’expérience des charmes divers de tant de femmes, il sentait que même l’âme la plus assouvie ne pouvait se blaser de celle-là. À chaque instant, elle trahissait des saveurs inconnues, des arômes qu’on n’avait pas encore respires. C’était bien vraiment la maîtresse qui résumait — comme l’avait dit, un certain soir, madame de Flers, — tout un sérail dans sa personne. Sang mêlé de Goth et de Sarrasin, née dans les Alcazars, mais vivant sans effort avec les poissonniers et les mendiants, tant elle avait été

  1. C’est le nom que les paysans du Cotentin donnent à la blouse.
    (Note de l’auteur.)