Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/348

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dessus la rampe, les rideaux de velours ponceau, atteints d’un dernier rayon du soleil.

— « Tiens ! — dit-il avec ce regard de mendiant à qui rien n’échappe ; car qui a besoin d’être dans la vie meilleur observateur qu’un mendiant ? — Tiens ! les fenêtres du manoir sont toutes grandes ouvertes ! Est-ce que les maîtres seraient de retour ou qu’on les attendrait ces jours-ci ?…

— Nenni da ! — fit le père Griffon. — Ils ne sont pas venus et on ne parle pas qu’ils viennent, m’a dit le fermier, l’autre soir. La marquise est morte l’an passé, quand ils s’en allèrent ; c’était son bien, à elle, et qu’elle aimait, que sa terre de Carteret, qui est, après tout, un beau bien ! Mais les enfants n’ont pas toujours le goût des pères : les jeunes gens ne pensent pas comme les anciens. P’t-être qu’on ne verra pas de sitôt de maîtres au manoir.

— Que le bon Dieu nous protège ! — dit le mendiant. — Ils faisaient du bien, tout jeunes qu’ils fussent, autant que la vieille marquise. Quand elle s’en retourna, les laissant au manoir, on ne s’aperçut pas qu’elle y manquât, ma finguette !… L’ouvrage alla tout de même dans Carteret pour ceux qui travaillent, et l’aumône itou, pour tous ceux qui, comme mai, sont cassés par l’âge et ne peuvent plus tenir un manche de charrue ou un fouet.