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de son âme, Hermangarde n’exprima pas la curiosité étourdie de ces jeunes femmes qui veulent tout savoir et s’embusquent, avec un empressement de mauvais goût, derrière le cachet de toutes les lettres adressées à leurs maris. Non ! c’était un être à part dans la vie ; elle n’eût pas aimé assez pour être tranquille, qu’elle eût été trop fière pour ne pas être réservée. Pendant que Marigny lisait, elle avait ôté son gant, et du dos de sa belle main rêveuse, elle écartait ses cheveux mouillés qui se collaient aux fossettes de sa bouche souriante.

Mais si elle ne regardait pas Marigny, les deux douairières le regardaient pour elle. Leurs yeux scrutateurs ne le quittaient pas.

Lui qui ne se croyait pas alors l’objet d’une double et scrupuleuse observation, acheva la lecture de la lettre, les sourcils immobiles, le visage calme, l’œil attentif, mais inaltérable. Arrivé à la fin, il la tordit dans ses mains tranquilles et la jeta au feu.

Puis, comme sa femme était toujours debout, en face de lui, à la cheminée, il la prit tout à coup à la taille par-dessus la pelisse bleuâtre qu’elle n’avait point détachée, et il l’embrassa entre les deux yeux avec une chaste idolâtrie, à la place où — si on se le rappelle — il l’avait embrassée pour la première fois.