Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où la première sensation de la mer s’éleva en elle. Ce fut le soir… un soir d’été, aride et brûlant. Elle avait roulé en berline toute la journée, quand tout à coup, à un certain moment de leur course, les pieds des chevaux firent jaillir autour de la voiture l’écume d’une eau qu’ils crevaient avec bruit, en y entrant. Ils plongeaient alors dans ce bras de mer, uni comme une rivière, qui est la limite de Carteret. Le soleil avait disparu, il y avait une heure. Mais ce n’était pas le couchant qui était de pourpre, c’était le crépuscule tout entier. Des vapeurs d’un incarnat mourant noyaient l’horizon sur lequel ressortaient les lignes altières de la noire falaise ; et la mer qui montait alors, — qui semblait venir majestueusement vers Hermangarde comme Hermangarde venait vers elle, — semblait rouler un varech de roses dans l’albâtre de ses écumes, sous cet air empourpré qui pénétrait tout de sa nuance victorieuse, qui circulait autour de tout, comme le sang ému de la nature immortelle. C’était un spectacle élyséen. Hermangarde l’apercevait, la tête appuyée sur l’épaule de son Ryno bien-aimé. Cette première impression, cette mer enflammée comme son âme, cette soirée, aux ardentes mélancolies, qui répondait si bien à tout ce qui brûlait en elle, lui sacrèrent ce petit village de Carteret où elle venait cacher sa vie. Elle sentit