Page:Barbey d’Aurevilly – Du dandysme et de Georges Brummell.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

autant de Brummell exilé que quand il était là, dictant ses arrêts à ce monde qu’on soumet quand on l’aime, mais qui écrase quand on le fuit. L’attention publique perçait le brouillard, franchissait la mer et l’atteignait sur l’autre rive, dans cette ville étrangère où il s’était réfugié. La fashion fit maint pèlerinage à Calais. On y vit les ducs de Wellington, de Rutland, de Richmond, de Beaufort, de Bedford ; les lords Sefton, Jersey, Willoughby, d’Eresby, Craven, Ward et Stuart de Rothsay. Aussi superbe qu’à Londres, Brummell conserva toutes les habitudes de sa vie extérieure. Un jour, lord Westmoreland, passant par Calais, lui manda qu’il serait heureux de lui donner à dîner, et que le dîner serait pour trois heures. Le Beau répondit qu’il ne mangeait jamais à cette heure-là, et refusa Sa Seigneurie. Il vivait, du reste, avec la monotone routine des Anglais oisifs sur le continent, et dans une solitude troublée seulement par les visites de ses compatriotes. Quoiqu’il n’affectât pas de hauteur aristocratique ou misanthropique, sa courtoisie avait si grand air qu’elle n’attirait pas beaucoup les hommes dont le hasard l’avait rapproché ; il restait étranger par le langage[1], et il le res-

  1. On sait la plaisanterie de Scrope Davies, à laquelle