Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avaient vu fondre leur beauté au feu des souffrances, comme le cierge voit fondre sa cire sur le pied d’argent du chandelier.

À la lettre, elles étaient fondues…, tandis que leur amie, robustement et rébarbativement laide, avait résisté. Solide de laideur, elle avait reçu le soufflet, l’alipan du Temps, comme elle disait, sur un bronze que rien ne pouvait entamer. Même la mise inouïe dans laquelle elle encadrait sa laideur bizarre n’en augmentait pas de beaucoup l’effet, tant l’effet en était frappant ! Coiffée habituellement d’une espèce de baril de soie, orange et violette, qui aurait défié par sa forme la plus audacieuse fantaisie, et qu’elle fabriquait de ses propres mains, cette contemporaine de mesdemoiselles de Touffedelys ressemblait, avec son nez recourbé comme un sabre oriental dans son fourreau grenu de maroquin rouge, à la reine de Saba, interprétée par un Callot chinois, surexcité par l’opium. Elle avait réussi à diminuer la laideur de son frère, et à faire passer le visage de l’abbé pour un visage comme un autre, quoique, certes ! il ne le fût pas ! Cette femme avait un grotesque si supérieur, qu’on l’eût remarquée même en Angleterre, ce pays des grotesques, où le spleen, l’excentricité, la richesse et le gin travaillent perpétuellement à faire un carnaval de figures, auprès desquelles les masques du carnaval de