Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/65

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cette céleste figure de Minerve, calme, sérieuse, olympienne, placide, en harmonie avec ce sein hardiment moulé, comme l’orbe d’une cuirasse de guerrière, où brûlait chastement, depuis plus de vingt ans, une pensée d’adoration perpétuelle ; et l’on sentait, en voyant ces premiers envahissements de l’âge et ces traces de la douleur que, si cette vierge, grandiose et pudique, avait toujours été la Sagesse, elle n’était pas pour cela déesse.

Elle n’était qu’une fille « montée en graine », disaient cyniquement les jeunes gentilshommes de la contrée, qui ont tous perdu, au contact des mœurs nouvelles, la galanterie chevaleresque de leurs pères ; mais aux yeux de qui savait voir, cette vieille fille valait mieux à son petit doigt sans anneau qu’à tout leur corps dans leurs robes de noce, les plus jeunes châtelaines de ce pays, dont les femmes ressemblent pourtant aux touffes de roses des pommiers en fleurs ! Au physique, sa beauté de soleil couché, estompée par le crépuscule et par la souffrance, pouvait encore inspirer un grand amour à une imagination réellement poétique ; mais, au moral, qui aurait pu lutter contre elle ? Qui, sur les âmes élevées, aurait eu plus d’empire que cette Aimée de quarante ans, la femme de son nom autrefois, car personne n’avait jamais inspiré plus de sentiments