Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

demoiselles de Touffedelys et bien d’autres jeunes filles de ce temps, qui regardaient le chevalier de Langotière comme un miracle, et l’auraient volontiers nommé la belle des belles, comme du temps de la Fronde on disait de la duchesse de Montbazon. Seulement, tout en raillant, je n’oubliais pas que cette mignonne beauté de fille à marier était doublée de l’âme d’un homme ; que sous cette peau fine, il y avait un cœur de chêne et des muscles comme des cordes à puits… Un jour, dans une foire, à Bricquebec, j’avais vu le chevalier traité de chouan avec insolence, sous une tente, faire tête à quatre vigoureux paysans, dont il tordit les pieds de frêne dans ses charmantes mains, comme si ç’avaient été des roseaux ! Je l’avais vu pris brutalement à la cravate par un brigadier de gendarmerie, taillé en Hercule, saisir le pouce de cet homme, entre ses petites dents, ces deux si jolis rangs de perles ! le couper net d’un seul coup et le souffler à la figure du brigadier, tout en s’échappant par un bond qui troua la foule ameutée autour d’eux ; et depuis ce jour-là, je l’avoue, la beauté de ce terrible coupeur de pouce m’avait paru moins efféminée ! Depuis ce jour-là aussi, j’avais appris à le connaître, au château de Touffedelys, où, comme je vous le disais, baron, nous avions notre quartier général le mieux caché et le plus sûr.