Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/186

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c’était une charge, mais non une charge d’âme, que de continuer Sismondi, — Sismondi, l’historien érudit, si l’on veut, mais l’historien sans vie réelle, sans mouvement, sans chaleur, et l’un des écrivains de cette belle école grise de Genève qui, pour le gris, le pesant et le froid, a remplacé avantageusement Port-Royal !

Assurément, Amédée Renée, qui se sentait peintre, dut se demander comment il s’y prendrait pour terminer cette grande œuvre, savante, mais incolore. Il dut se demander si sa conscience éveillée de continuateur ne lui créait pas l’obligation d’imiter, autant que le lui permettrait la nature de son esprit, l’homme dont on venait pour ainsi dire de lui mettre la plume à la main. Un moment, — nous l’imaginons, — son anxiété dut être grande. Mais, s’il se posa la question que nous venons de signaler, il ne s’en fit pas attendre la réponse, et elle fut nette, comme vous allez voir. Renée prit le seul parti qu’il y eût à prendre. Il fut lui-même, et ne fut que lui. Il n’essaya pas de se transformer en un autre. Il n’essaya pas de transfuser dans ses propres veines le sang d’un homme qui était mort, et qui, du reste, n’avait jamais beaucoup vécu. La transfusion spirituelle est aussi difficile que la transfusion matérielle. Il continua son Sismondi, mais sans l’imiter. L’historien genevois ne fut point son fétiche, et il n’en fit point le pastiche. Il ne craignit pas de se montrer, dans la différence de ses facultés et l’indé-