Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/85

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orner une œuvre quelconque : la sincérité, le calme et la paix. Jamais, dans ce temps de nerfs, d’imagination et de fièvre, où les livres que nous écrivons portent la marque de tîntes les grimaces de nos esprits, on n’a vu délivre plus calme sur un sujet pourtant qui pourrait incendier tous les cerveaux doués d’une étincelle. La vieillesse même de Gœthe n’eût pas fait mieux, si, lui, l’auteur du Divan, « que le temps — disait-il — avait rendu spectateur », avait pu, comme Huc, prendre « la ceinture rouge et le bonnet jaune » pour traverser et voir mieux ce grand Orient dont il rêvait ! Car Huc (qu’on ne s’y trompe pas ! et c’est là son originalité !) n’est pas, à proprement parler, missionnaire dans son livre sur l’empire chinois. Il n’y entretient pas le public de ses succès de propagande ou du détail de ses travaux apostoliques. Dans cette relation, écrite pour le monde, le prêtre se voile sans se cacher. Comme ils le font tous, quand il le faut, ces admirables possesseurs d’eux-mêmes et de la lumière, il y tait ses contemplations intérieures, et la critique est d’autant plus à l’aise vis-à-vis de lui qu’il n’a voulu faire qu’un livre de voyage et d’histoire, et qu’il a traité le public français comme il avait traité le public chinois, quand il ne craignit pas de revêtir la magnificence orientale et quand ces humbles pieds, dont il est dit dans nos livres saints : « Qu’ils sont blancs et beaux, les pieds des envoyés du Seigneur ! », il les a un jour bottes de satin !