Page:Barbey d’Aurevilly - Amaïdée, 1890.djvu/35

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bord de l’Océan et au fond des bois, — et de loin en loin quelques poitrines ?… Pourquoi Somegod, à cette heure sacrée, n’avait-il pas sa harpe entre ses genoux nerveux, ne fût-ce que pour y appuyer sa tête inclinée et écouter le vent du ciel et de l’onde soupirer, en passant à travers les cordes ébranlées, l’agonie du jour ? Ah ! c’est qu’une harpe manquait à Somegod, qu’elle manque à tous, et qu’elle n’est qu’un gracieux symbole. Les Poètes passent dans la vie les mains oisives, ne sachant les poser que sur leurs cœurs ou à leurs fronts, d’où ils tirent seulement quelques douces paroles que parfois la Justice de Dieu fait immortelles.

Non ! le Poète ne rêvait pas à cette heure. Il parlait, et ce n’était plus par mots entrecoupés comme il lui en échappait souvent dans le silence quand, ivre de la Nature et de la Pensée, il versait des pleurs sur les sables qu’il foulait en chancelant, et qu’il répandait son âme à ses pieds comme une femme, folle de volupté ou de douleur, y répandrait sa chevelure. Les paroles qu’il disait, il ne s’en soulageait pas. Elles n’étaient point de ces grandes irruptions de l’âme infinie dans l’espace immense, domaine dont, comme