Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/116

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quelque chose d’étonnant et d’étrange que la spontanéité de son esprit n’avait pas prévu. Si elle ne l’aimait point, comme elle le disait, pourquoi donc s’offrait-elle à lui ? Elle devenait pour lui incompréhensible comme Dieu, mais ne pas comprendre, pour qui aime, c’est encore une raison de plus pour aimer.

Et puis il faut, pour ne pas trop le mépriser, insister sur ce point qu’il traversait cet âge du cœur que l’on se rappelle bien confusément quand il n’est plus, et dont tout est resté indécis, excepté le trouble qu’il nous causa. Quel est cet âge ? On ne le saurait dire. Il n’a point de date. Les mystérieuses années de l’âme ne se comptent pas comme celles qu’un anniversaire marque d’une unité de plus. Il est entre douze et dix-huit ans peut-être. Comme il faut que la lumière soit quelque part, on la met sous le ciel. Elle y peut. C’est alors que notre vie ressemble à l’œil mi-clos sous l’éclat d’un jour soudain, que notre sein se soulève comme l’Océan quand la marée monte, car c’est la puissance de la tempête que la frêle haleine qui les gonfle tous les deux ! C’est alors que le baiser au front de nos sœurs cesse d’être frais comme la rosée des lèvres de l’enfance ; c’est alors que la bouche de nos mères n’a plus, en passant sur nos bouches, le goût qu’elle avait autrefois ; — que nous pensons à cela bien longtemps, la nuit, avant de nous endormir, nous sentant rougir dans l’obscurité comme si nous étions coupables, parce que nous aspirons la vie dans les troubles menaçants qui l’annoncent ! Cet âge, Allan en sortait, comme on en sort toujours, par un amour qui n’est plus le bonheur d’aimer en ignorance, par un amour qui n’est plus l’amour de l’amour ! La convalescence le replaça bientôt sous l’empire de sensations d’autant plus brûlantes