Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/131

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comme Périclès, vous avez manqué l’heure, Allan. Depuis longtemps elle est passée. Je ne reproche plus rien à la vie, et si je vous ai dit que l’amour m’était impossible, je ne me plaignais pas, je me jugeais.

« Vous m’avez fait trop grande, mon ami, dans vos adorations exaltées. Je ne sais pas s’il est de ces femmes dont l’âme n’ait jamais faibli à aimer, — qui, sur les morsures de chaque amour tombé de leur sein, pussent toujours en reprendre un autre pour l’y replacer de nouveau. Je ne sais pas si la nature choisie dont elles sont faites a rendu la douleur si impuissante qu’elles aient pu, sans peur, lui ouvrir généreusement leurs poitrines. Hélas ! il n’y eut place que pour sept glaives dans le cœur de la mère de Celui qui fut tout amour ! Mais, s’il existe de ces femmes toujours défaites, jamais vaincues, à qui la force n’a pas manqué à la millième étreinte, capables du bonheur d’être aimées plus difficile que d’aimer encore, s’il en exista ou s’il en existe, vous pouvez les appeler sublimes, car elles le sont, mais ce n’est pas moi. Moi, la passion m’a tout dévoré. J’ai résisté au courant de la destinée qui m’entraînait où je suis tombée. J’ai résisté longtemps toute pleurante, me déchirant aux arbres moqueurs de la rive qui avaient croulé sous ma main. Mais il a bien fallu céder ! Le flot de douleurs doublait toujours, et, d’ailleurs, le gouffre n’était pas loin, vide, béant et solitaire dans lequel vous tendez les bras, jeune homme, mais d’où vous ne pouvez pas me sortir. Du bord désert où vous vous penchez pour m’atteindre, je ne reçois rien que vos larmes. Vous voyez bien que je ne suis pas l’admirable créature que vous dites, celle dont l’imperturbable amour est toujours une virginité nouvelle. Reprenez donc, ô poète ! votre