Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/141

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carminées. Quand le soir vient (les soirs nacarats de Normandie !), des nuages superbes de couleur et de forme se nouent au-dessus de ces campagnes d’un aspect si exubérant, et, devant leurs déployements magiques, on ne regrette pas la pureté sereine du plus beau ciel de printemps. On n’entend plus les chœurs joyeux des moissonneuses et des faucheurs revenant des champs souper aux fermes, mais les aboiements mélancoliques d’un chien que l’écho impatiente, sur les pas de quelque chasseur attardé. Un pareil automne rachète d’avance les neiges qui vont suivre, et en le voyant, un Italien comprendrait, sans doute, qu’on pût voir Naples et ne pas mourir…

Midi sonnait, gai comme l’heure de se mettre à table, du clocher de Sainte-Mère-Église, et à ces sons doux et confus au sein d’un air humide de lumière, les vieilles femmes qui travaillaient à la porte cintrée de leurs maisons de chaume, dispersées sur la route qui va de Sainte-Mère-Église à Montebourg, faisaient leurs signes de croix et récitaient leur Angelus. Le soleil était assez chaud encore pour qu’on recherchât l’ombre et le frais.

C’était probablement à cause de cette chaleur de l’atmosphère, dilatée par un soleil alors à sa plus grande hauteur, que deux personnes à cheval (un homme et une femme) prirent un cheminet ombreux qui serpentait entre deux haies dépouillées et qui conduisait à un tertre d’où l’on apercevait la campagne, qui riait, par là, entre ses bouquets d’arbres et ses pâturages. Ces deux personnes semblaient avoir fait une longue course, car leurs chevaux étaient trempés de sueur. Ils marchaient au pas, sous la main abandonnée et les rênes flottantes de leurs maîtres, jusqu’au tertre où elles s’arrêtèrent. Le jeune homme des-