Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/146

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n’étais pas un insensé… que tu pouvais m’aimer… que c’était possible…

— Oui, peut-être, oui, — reprenait-elle à son tour. — Mais il n’y avait pas que des années entre nous, Allan, des années qui font pleurer sur la beauté perdue parce qu’on a peur qu’il n’en aime une autre demain ! Ah ! ces années enflamment encore davantage l’amour que l’on ressent par l’inquiétude et la jalousie, cette double conscience des bornes de soi. Hélas ! est-ce ma faute, à moi, si cet amour magnifique, puisqu’il résume le cœur tout entier, la main du sort l’a arraché de mon âme ; s’il m’est impossible, ce dernier soupir ! Est-ce ma faute, à moi, si je ressemble au Zahuri des superstitions espagnoles, qui voit dans les cimetières le cadavre, sous le drap funéraire de gazon et de fleurs qui le couvre ?

Des larmes amères vinrent aux yeux d’Allan.

— J’aime vos larmes, — continua-t-elle dans un de ces moments où la femme réenvahissait tout, — pauvre enfant, j’aime vos larmes ! La mort de mon âme est dignement pleurée par vous, par vous dont la vôtre est entière. Des larmes prises aux plus sereines sources du ciel comme un éther incorruptible, et scellées dans le cristal de roche d’un cœur pur, sont plus belles à couler sur tant de souillures ensevelies que celles de Madeleine sur les pieds de Jésus. C’était sur elle qu’elle pleurait encore ; mais vous, enfant, vous êtes plus généreux, car vous ne pleurez que sur moi, et comme Jésus, qui portait les Neuf Cieux du pardon pour cette pauvre femme dans un regard satisfait, je n’ai pas de paradis à vous offrir ni même à vous faire espérer.

— Si ! tu en as un, mon Yseult ! — répondit-il avec l’é-