Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/148

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l’est celui de la raison quand elle cède aux exigences d’une sensibilité niaise ou aux désirs capricieux d’un malade. Allan perdit tout le bonheur qu’elle avait d’abord créé en lui en le tutoyant. Ainsi, toujours, elle était l’infanticide des joies qu’elle faisait naître dans le cœur de son jeune amant.

— Écoute, Yseult, — lui dit-il, après le silence d’une résolution, — je ne te demanderai plus rien désormais. Les fleurs de tes dons sont empoisonnées. Elle me font plus de mal que de bien, et je n’en veux pas ! Mais, mon Dieu, pourquoi t’ai-je aimée ?… — Et il la serra sur son cœur avec délire en levant les yeux vers le ciel, muet et inexpressif dans ses ténèbres d’azur comme au jour de la création, avant qu’il y eût une douleur ou une ignorance qui lui envoyât d’à genoux un « pourquoi ? »

Jamais il ne l’avait aimée davantage. Elle ne répondit pas plus à sa question désespérée que ce qu’il avait appelé : « mon Dieu », avec ce désir de savoir qui enfante la foi dans nos âmes. ..........................................

 
 

Ils parlèrent longtemps encore, mais il y eut un moment où le soleil qui déclinait avertit madame de Scudemor de retourner au château. Ils en étaient loin. Qui sait, d’ailleurs, si toute cette vie passionnée qui se mêlait avec tant d’impétuosité à la sienne ne la fatiguait pas un peu ?… Qui sait si sa résignation n’élevait pas une plainte dans son âme, malgré le plaisir que les femmes ont à être victimes ? Qui sait si elle ne retournait pas la tête avec regret vers la solitude ? Mais l’avait-elle jamais quittée, cette solitude, à l’heure même qu’on pouvait le croire davantage ?…