Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/171

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les jours éteints de sa suave enfance. Eh bien, depuis que madame de Scudemor avait cessé d’être une mère aussi pour Allan comme elle l’était pour Camille, le jeune homme devenait pour sa sœur adoptive féroce comme un vautour blessé.

Cependant, la jalousie qu’une simple caresse avait excitée s’était perdue dans une plus grande qui ne se ruait pas contre une enfant, symbole détesté d’une affection pour un autre, vision atroce d’une nuit qui s’est changée en vie pour vous poursuivre d’une ressemblance et d’un nom ! Maintenant c’était le passé tout entier de cette femme, si fatalement aimée, qu’Allan avait à haïr et à craindre ; toute cette longue et pleine jeunesse dont il savait l’histoire, cette histoire clouée dans sa conscience après avoir passé à travers la moelle de ses os ! Chaque jour qui userait les ivresses de la possession exalterait cette sombre jalousie. Ce ne serait qu’une pensée, mais intolérable. En effet, il n’y a pas (elle le lui avait dit) de poignards contre le passé, et l’on ne peut espionner un souvenir. Mais Allan ne pouvait pas comprendre que cette grande infortunée d’Yseult eût si profondément séparé sa vie passée de sa vie actuelle de toute la longueur de son mépris ; qu’elle tînt si bas les hommes qu’elle avait adorés et qu’elle n’avait pas même honorés de l’insulte de la femme trahie. Il ne pouvait comprendre qu’elle fût devenue si bien la Niobé, avec son éternelle impassibilité de marbre lorsque les enfants de ses rêves, plus beaux que les enfants antiques, moururent les uns après les autres sous les flèches implacables du sort. Pour Allan, il était impossible d’admettre que la jalousie ne dût plus exister dans son cœur, à lui, si violemment soulevé. Il ne la croyait pas si grande qu’elle