Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/178

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infinie, il cherchait quelque nouvelle ivresse pour ne plus penser qu’elle ne l’aimait pas.

Elle le regarda, mais, au fond de ces prunelles désertes de volupté, on eût dit qu’il y avait une pensée plus rêveuse que celles que d’ordinaire on y voyait.

— À quoi pensez-vous ? — lui dit-il.

— Je pensais qu’il y avait quatre mois, — répondit-elle, — j’étais seule ici, à cette même place, et que je m’en levais pour vous écrire. Vous savez ce que je vous écrivis ; tout à l’heure, je me demandais s’il y avait une autre manière de vous sauver ?…

Les sourcils d’Allan se froncèrent avec lenteur, mais ses yeux ne lancèrent pas d’éclair. Ce mouvement de sourcils fut tout ce qui dépassa le seuil de son cœur. La main qu’il avait au cou de la comtesse Yseult tomba le long de ses cheveux, qu’un moment auparavant la même main avait dénoués et répandus autour de cette tête d’un calme auguste, contraste qu’il chérissait, lui, et qui la faisait ressembler à quelque reine captive, à quelque grand orgueil atteint, à du stoïcisme courbé ! Ce n’est pas pour baigner ses mains dans les flots de cette épaisse chevelure, pour étancher la soif de sa bouche, que toujours il aimait à la faire ruisseler autour d’eux quand ils se trouvaient rapprochés comme alors ; c’était un besoin d’imagination tendre offensée. Il voulait adoucir cette physionomie haute et grave, lui donner un reflet de jeunesse, un désordre apparent de la passion qu’elle n’avait pas, un éperdument mensonger, mais qui eût suffi à cet instant de l’âme infinie. Il voulait tout ce qui pouvait la faire descendre des sommets intangibles de la raison, et la faire ressemblera une femme fragile autrement que par la pitié. Il était naturellement