Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/180

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Et dans la glace, placée en face et à la hauteur du lit, disparurent les deux têtes du couple étrange qu’on y voyait. Seulement le lit gémissait jusque dans ses colonnes comme si, en réponse à Allan, une impétueuse sympathie se fut emparée de son bois inerte et de ses bronzes durs et glacés. Chose qui semblait s’émouvoir, pour faire honte à la créature indifférente !

Elle ressemblait aux sphinx du lit par son profil grec, l’ouverture de l’angle facial, et son immobilité rigide dans la pâleur profonde de sa chair, comme eux, dans le vert de leur bronze. Mais là s’arrêtait l’analogie, car nul mystère railleur ne jouait sur sa lèvre. Nulle impénétrabilité ne fermait son front. Hélas ! il y apparaissait quelque chose de plus triste encore. Il y apparaissait de l’anéanti !

— Oh ! je n’ai jamais, — disait-il, à propos mille fois interrompus, d’une voix stridente, fausse, haletante, décomposée, — je n’ai jamais aimé que ta beauté, cette beauté que je tiens dans mes bras ! Je n’ai jamais désiré, dans les plus ardents de mes rêves, d’autre bonheur que celui d’être ainsi, poitrine à poitrine, avec toi ! Oh ! l’amour, l’amour, c’est un baiser, c’est une morsure, du sang qui coule et qui se mêle, une nuit passée, des jours comme des nuits, des nuits comme celle-ci, et au bout mourir ! Voilà l’amour ! Mais le reste, s’il y a un reste, qu’est-ce qu’il me fait ? Ce n’en est pas ! — Et il riait. — Qu’importent ton silence ou tes paroles pourvu que tu ne retires pas ta lèvre de dessous la mienne ! Qu’importe que rien ne batte dans ton sein, s’il m’appartient plus qu’à ton enfant ! Ah ! le reste est bon pour remplir le creux du temps qu’on n’aime pas, qu’on défaille, qu’on retombe à l’humanité ! Mais l’amour n’est l’amour que parce qu’il remplit la vie. À la remplir