Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/201

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midité d’un désir noyait ses yeux. Ils étaient toujours baissés comme ceux des vierges qui n’ignorent pas, plus divines que celles qui ignorent. Elle se leva toute chancelante en s’appuyant sur l’angle du piano, et elle vint s’asseoir, avec une langueur presque malade, sur les genoux de son jeune amant.

— Le crois-tu, maintenant ? — lui dit-elle, en lui plongeant dans les siens ses yeux adoucis comme sa voix. Mais le regard d’Allan doutait encore… Elle ne le soutint pas, et, comme pour l’éviter, elle posa sa tête sur la poitrine du jeune homme que le cœur soulevait sous ses bonds.

— Vous m’aimer, vous ! — répétait Allan, — mais je suis donc fou, ou vous l’êtes ! Vous m’aimer, après m’avoir tant torturé en ne m’aimant pas !

— Oh ! pardonnez-le-moi, Allan ! — lui murmurait-elle, la tête toujours sur sa poitrine, — pardonnez-moi d’avoir été vraie avec vous. Hélas ! je ne me doutais pas que plus tard vous seriez vengé si vous vouliez.

— Ah ! je ne veux qu’être heureux, mon Yseult ! — dit-il, entraîné par la puissance de ce dernier mot, et il coula un baiser entre les épaules de Madame de Scudemor qui en frissonna, et ce fut aussi pour la première fois.

— Tu m’as crue bien orgueilleuse, n’est-ce pas ? — reprit-elle avec un sourire plein de délices. — Et c’était vrai, Allan, je l’étais. Mais je veux être bien humble à présent. Mon orgueil venait de ce que j’avais été malheureuse. Je me croyais inaccessible aux douleurs autrefois éprouvées, et mon humilité venait de cet amour, que je me suis nié à moi-même avant de te l’avouer, à toi. Il n’y a pas longtemps que je l’ai découvert dans mon âme, et si tu