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Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/281

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savais pas ce que j’avais, innocente pauvrette ! C’était cela, Camille, c’était l’idée de l’Inconnu, informe encore mais déjà comprise, qui m’atterrait de pressentiments inexplicables.

« Mais je ne dois pas troubler ta vie de ces inquiétudes de la destinée, ô Camille ! Quand tu me demandes du bonheur avec une voix suppliante, quand tu as mis sur ma tête tout ce que tu as eu d’amour à donner et de félicités à attendre, je ne dois pas te renvoyer ta prière avec les funèbres imbécillités de mon cœur ! Non, je veux plutôt partager ton enthousiasme au bonheur que tu fais sortir de l’amour. D’ailleurs, cet amour n’a-t-il pas déjà endormi mes sombres pensées ? Et, puisque ces deux mois ont été pour moi aussi doux que la Voie lactée dans un ciel de nuit épuré, pourquoi les jours à naître encore différeraient-ils de ceux qui ne sont déjà plus ? Pourquoi ne me serait-il pas permis de croire en toi plus qu’à moi-même ?… Ah ! j’ai eu tort. Je m’en accuse, et je reprends l’imprudente parole qui a pu faire couler tes larmes.

« Mais écoute, ô ma tendre amie ! Si parfois près de toi que j’aime, au sein de cette existence comme on la rêve et que nous avons réalisée, un nuage allait voiler mon front, une pensée glacer mon sourire, oh ! ferme les yeux et oublie. Ce ne sera jamais qu’un instant rapide, un éclair aussitôt éteint qu’aperçu. Quand tu les rouvriras, tes yeux adorés, tu me trouveras rassuré et serein comme toi. Ne t’inquiète pas de ces mouvements subits qui traversent le bonheur même, de cette nature obstinée qui revient alors qu’on la croyait vaincue et désarmée. Absous-moi de cette éternelle défiance, si jamais elle reparaît et surnage pour être de nouveau perdue dans les délices de notre union. Cette défiance, ô ma sœur chérie, ne s’adressera jamais à