Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/289

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qu’elle fût de cette beauté dangereuse qu’on n’aspire par les yeux qu’avec des frissonnements, beauté de lutteuse qui promettait des résistances même étant vaincue et qu’on n’aurait pas craint alors d’écraser, quoiqu’elle exhalât l’odeur voluptueuse des fleurs les plus brûlantes du Pérou comme si quelque chaud parfum d’héliotrope eût été caché dans ses vêtements, jamais Allan ne l’avait considérée que comme l’expression d’un sentiment virginal, et pourtant exalté. Placé incessamment à ses côtés, il avait reposé ses yeux des journées entières sur ce buste fait pour tous les enlacements et les étreintes de l’amour ; sur ces épaules en cœur et cette nuque enivrante, où de petits cheveux rebelles au peigne frisaient et, faisant comme une légère mousse d’or, rappelaient qu’enfant cette tête, bronzée maintenant, avait été rousse ; et jamais il n’avait senti sur ses lèvres les humidités et les sécheresses du désir. Il voyait la vie dilater son double fruit au corsage de cette jeune fille avec l’harmonie de deux sphères célestes dans un firmament de printemps, et il n’éprouvait pas ce qui s’élève en nous à la vue d’un lac frais et suave après un jour de chemin dans une route crayeuse et aride, crevassée d’un soleil ardent. Camille, à son tour, avait porté des heures l’haleine de cet homme contre sa joue, et cette haleine ne l’avait pas couverte de ces sueurs de feu qui nous ruissellent de la tête aux pieds à ce petit souffle de la bouche aimée. Elle n’en avait pas même frissonné. À la vérité, souvent elle lui disait qu’il était beau avec un accent idolâtre. Mais les mères ne le disent-elles pas à leur enfant ?…

Camille et Allan, qui ne voulaient pas se quitter dans la journée, ne pouvaient s’écrire que la nuit. Leurs lettres étaient longues et leur faisaient prolonger la veillée jusqu’au