Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/298

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nuit comme moi, à moitié mort, parce que la vie et l’amour débordaient à torrents de ton cœur ?…

« Et ce matin, que je suis moins émue et que j’ai retrouvé la force de t’écrire, te raconterai-je cette longue, délicieuse et tuante insomnie ? cette nuit écoulée, le front appuyé sur mon lit, à répéter ton nom adoré ? Oh ! tu aurais été là, Allan, que tu n’aurais pas ajouté un délire de plus à tous mes délires ! Tes lèvres n’auraient pas couvert mes épaules de baisers plus enivrants que ceux que j’y ai répandus !… Pourquoi une cuisante rougeur me monte-t-elle au visage en t’écrivant ce qui n’eût été qu’un enfantillage si mes lèvres n’avaient pas été touchées par les tiennes, et si cette caresse, de moi à moi, n’avait pas été toute imprégnée de toi encore !…

« Ô Allan ! je t’aimais comme mon frère. Maintenant, ce n’est plus comme un frère que je t’aime. C’est comme celui auquel on donne son existence, comme celui que j’aurais rêvé si je ne t’avais pas toujours connu. Hier, de ta sœur que j’étais je suis devenue ta fiancée. Jamais, je te le jure, Allan, je n’appartiendrai à un autre que toi. Seulement, je t’en conjure, ami, ne me demande pas tout de suite à ma mère ! Elle sera heureuse de donner sa fille à celui qui est déjà son fils d’adoption, mais ne nous hâtons pas d’épuiser la vie dont une goutte suffit actuellement pour nous rendre heureux. Tu ne sais pas, tes livres m’ont fait peur, Allan ? Ils montrent tous que le mariage empêche l’amour de durer. C’est absurde, car, moi ta femme, je ne t’aimerai que davantage. — Mais quelle est la pauvre fille bien aimante qui puisse se défendre de n’être pas toujours aimée, ô mon Dieu ?

« Avec quelle joie je vais te retrouver, ce matin, ô mon