Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/321

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rait pas dû, peut-être, les prendre pour le symbole du génie.

Certainement, Camille était en droit de se plaindre d’Allan. Elle qui, dans les premiers temps de la découverte de leur amour, lui avait dit : « Attendons ! Vivons comme nous vivons maintenant, nous sommes toujours sûrs de notre mariage. Nous sommes si heureux dans le mystère de notre amour ! » elle était pressée et ne se trouvait plus heureuse du mystère. Elle voulait de la clarté sur son bonheur. Elle voulait le lien du mariage qui lui paraissait infrangible, et elle pressait Allan de la demander à sa mère. Allan, qui avait aimé madame de Scudemor et avait l’écrasant embarras de son passé avec cette femme dont il aimait à présent la fille, répondait aux instances plus vives et plus multipliées de Camille par des faux-fuyants d’une mollesse que Camille ne comprenait pas. On se serait inquiété à moins. Pour se soustraire à ces persécutions de prières, Allan ne savait quel moyen prendre. Il n’avait plus que la ressource des âmes faibles, qui reculent toujours devant le péril quoique le péril soit inévitable. Il remettait tout au lendemain… Cette mollesse semblait donner raison aux soupçons de Camille contre les dénégations les plus opiniâtres… Et la position d’Allan était si cruelle pour lui quand il était seul avec cette exigeante jeune fille, qui avait bien le droit d’exiger, qu’il souhaitait que madame de Scudemor vînt se mettre entre eux pour lui épargner ce supplice !

Mais les événements ne le favorisaient pas. Madame de Scudemor ne sortait plus guère de son appartement que vers midi. Comme elle refusait toujours les soins de sa fille, la moitié de la journée s’écoulait pour Camille, dans le jardin ou dans le salon, seule ou en tête-à-tête avec Allan.