Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/328

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Allan voulut la prendre dans ses bras, mais elle se débattit. — Ne m’approche pas, — lui cria-t-elle avec horreur, — tu sens ma mère ! ma mère, hypocrite et froide créature, qui l’aurait dit ? tu l’as aimée ! Oh ! que je la hais à présent ! Quand je te dis de me laisser, amant de ma mère ! — reprenait-elle, avec une rage toujours croissante, en se dégageant de ses bras.

Allan n’avait jamais tant souffert. Les cris de Camille l’enivraient d’une douleur aiguë. Il eut un de ces moments de colère qui ferait presque reculer le sort qui nous frappe, quand il vit cette femme qu’il aimait l’appeler perfide et recevoir avec dégoût ses caresses. Il fut sur le point de saisir malgré elle la frêle et furieuse créature, et de la briser sur son cœur dans une étreinte de désespoir et d’angoissante volupté. Mais il s’arrêta, les mains étendues dans la plus sublime des hésitations. Son regard avait en ce moment une telle puissance qu’un tigre en aurait reculé. Il le lui mit sur la gorge comme une arme :

— Je te jure, Camille, — lui dit-il, d’une voix tremblante comme on l’a quand on est pâle de rage réprimée, — je te jure, par l’enfant que tu portes, de me fendre la tête à tes yeux sur cette console si tu ne veux pas m’écouter !

La colère est la baguette d’Aaron. Quand elle fut changée en serpent, elle dévora tous les autres.

Camille domptée devint muette.

— Je te jure — continua Allan — que je n’aime pas ta mère, mais toi seule, Camille ! toi seule ! toi !

Elle baissa la tête comme si elle eût réfléchi. Puis, la relevant tout à coup :

— Je vais le savoir ! — dit-elle d’une voix brève ; et elle alla pour sortir.