Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/347

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d’Hamlet, quand il y cherchait la pensée et qu’il ne l’y retrouvait plus ?

Et, en jetant ces mots mélancoliques de sa voix lente et sans mélodie, — appuyée qu’elle était sur son coude, froissant de sa main gauche un long châle orange tombé de ses épaules aux hanches et flottant mollement autour d’elle, comme l’écharpe d’or du soir aux âpres flancs de la montagne, — image austère de la Destinée, elle semblait secouer de la suave draperie qu’elle étalait sur ses genoux tous les secrets de la mort et de la vie. Allan la contemplait dans sa pose auguste, pâle mais non sombre comme le marbre d’un tombeau sans cyprès, et la conviction qu’elle exprimait, une fois de plus, cette science du cœur apprise et retenue, le frappa comme une vérité nouvelle. Du buisson ardent de son enthousiasme, Dieu apparaissait enfin à ce Moïse de l’amour et lui faisait voiler son visage en écoulant la loi terrible ignorée et niée si longtemps. Était-ce l’harmonie qu’il y avait entre ce que disait Yseult et ce qu’elle était ainsi disant, — beauté perdue, yeux torches bientôt éteintes, sein auquel restait comme l’ornière du char de la vie dans ces dernières années si rapides, — était-ce toute cette dévastation au déclin qui apprenait mieux à Allan la fin de toutes les gloires de la vie et l’initiait davantage au secret de nos amours de poussière ? La Sybille parlait-elle pour lui plus haut que l’oracle ? ou était-ce le premier reflux de la jeunesse qui se retire souvent dans nos cœurs lorsque, sur les rivages de l’existence, la marée bat son plein et semble monter encore ?… Toujours est-il qu’Allan sentit une adhésion fatale dans son esprit aux paroles de madame de Scudemor. L’idée que son second amour allait expirer comme le premier, qui n’était encore