Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/352

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dit, en se levant du canapé et en ramenant aux épaules le châle égaré qu’elle drapa autour de sa taille alanguie :

— Eh bien ! donnez-moi votre bras, mon fils, et retournons trouver Camille tous les deux.

Et ils descendirent dans le jardin, où ils croyaient qu’elle était et où ils ne la trouvèrent pas. Le soleil était couché depuis une demi-heure, mais il n’avait point tout emporté des rayons qu’il venait de répandre à torrents sur la terre. Ils semblaient y traîner, à l’or et au vermillon liquide dont tous les objets étaient trempés. Le ciel était d’un azur sombre et qui allait toujours s’assombrissant davantage des bords de l’horizon au zénith. Contraste singulier et frappant ! L’ombre se projetait des régions de la lumière et la terre, dans ses vapeurs opaques, s’embrasait d’on ne sait quel reste d’éclat qui avait disparu de là-haut. Le jour se mourait par la cime, comme un homme de génie qui deviendrait insensé. La lumière s’en allait du monde comme les plus nobles facultés de la personnalité humaine. Mais la vie restait dans l’un comme dans l’autre. Seulement une vie aveugle, ténébreuse, stupide, un ardent sommeil entrecoupé de rêves et de sueurs. Vraiment la terre n’était pas tranquille, ce jour-là ! On la sentait presque se cabrer sous les pieds… Les airs regorgeaient de suavités de toute sorte, harmonies humides, parfums doux et tendres, et c’était un de ces moments où l’homme, à l’unisson du grand tout qui l’entoure, noie avec une volupté pleine de force son fragile cœur dans le vaste cœur de la nature.

« Que ce jour meurt bien ! » murmurait Yseult. On aurait pensé qu’elle enviait le glorieux déclin de ce jour radieux. Elle qui avait ressemblé si longtemps à cette nature féconde et luxuriante, il ne lui restait qu’un ciel