Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/356

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On avait répandu des jonchées de primevères dans la nef, dont les croisées ouvertes recevaient en plein un air frais et pur. Plus d’une fois, pendant la cérémonie, les pigeons du presbytère vinrent se poser sur le bord des fenêtres comme des messagers de joie. Camille pouvait les voir du pied de l’autel où elle recevait la bénédiction du prêtre. Une pensée superstitieuse naquit en elle comme il arrive souvent, dans les circonstances solennelles de la vie, même aux moins rêveuses. Elle s’imagina que ces oiseaux étaient un présage et que, s’ils quittaient la fenêtre avant la fin de la cérémonie, son bonheur s’en irait avec eux. Hélas ! les oiseaux s’envolèrent… L’étincelante beauté de Camille se couvrit d’une pâleur soudaine aussi grande que celle de sa mère, debout à côté d’elle et qui, sans sourires et sans larmes, regardait marier son enfant. Seulement, pour Camille, cette pâleur devait disparaître à la voix d’Allan, tandis que, pour Yseult, c’était un suaire qu’elle emporterait dans la tombe.

Après la cérémonie, Camille demanda à Allan de retourner tous les deux à pied au château. Madame de Scudemor, dont l’état de souffrance motivait une foule de ménagements, remonta en voiture et les laissa. On était en juin, ce mois inondé de lumière et embrasé de soleil comme un regard de femme amoureuse. Du côté opposé au marais les airs se tiédissaient, sur toute la route qu’ils parcoururent, de l’alanguissante odeur des colzas qui balançaient leurs milliers d’aigrettes d’or à perte de vue. Les blés n’étaient pas avancés. De sveltes épis d’un vert tendre ne montaient pas plus haut que les colzas en fleur. À d’autres endroits les trèfles étendaient leur laque carminée et sombre, et nul arbre n’ombrageait ces plaines qui n’avaient