Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/363

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abandonnée ? C’est qu’il voulait provoquer des enivrements dans lesquels il se cachât à elle et à lui-même, et qu’autrefois il n’avait pas la peine de chercher !

Mais la pensée qui le rongeait fut plus forte que tous ses efforts. Cette jeune femme n’était pas seulement l’épouse du matin, la jeune fille désirée longtemps et enfin obtenue, c’était une femme sans mystère, n’ayant plus que cet amour si grand quand une femme s’est donnée et qu’il ne lui reste plus que cet amour à donner, dernier don repoussé du pied par les hommes ! Aussi la caresse prodiguée ne faisait pas oublier la souffrance du malheureux Allan, qui cherchait à la fuir. Il s’emportait contre lui-même et contre le destin de ce que cette magnifique créature, assise sur ses genoux et dont il pressait avec ardeur les hanches bombées et voluptueuses, ne lui causât plus les émotions qu’elle lui causait naguère et dont il avait un si grand besoin aujourd’hui ! Elle, elle ne voyait pas dans les transports de son mari ce qu’ils cachaient à son âme si amoureusement abusée ! Elle s’abandonnait à chaque instant davantage. Puis, comme elle était naturellement passionnée, elle fit bientôt plus que de s’abandonner… Les rôles changèrent. Allan, vaincu par les résistances de son cœur, sentait que Camille, autrefois si puissante, n’était plus qu’une femme. Le mari restait, mais l’amant avait disparu.

— Tes lèvres sont froides et tes cheveux aussi, — dit Camille, — c’est l’air de la nuit. — Et plus bas elle ajouta, rougissante, ce mot de l’intimité dans lequel se transfondent deux existences et qui devient immonde si plus d’un l’entend : — Couchons-nous !

Elle se leva des genoux de son mari et alla se coiffer de