Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/369

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cher ; toute la différence du parler au chuchotement ou au silence. Cette vérité de situation aux yeux des autres, empêchait bien des irritations. On en a quelquefois pour vingt-quatre heures de colères concentrées et dévorées parce qu’on a manqué à un rendez-vous de quelques secondes sur un escalier, par peur de l’espionnage d’un valet.

À ne voir le mariage que comme on le voit au dix-neuvième siècle, par les côtés élégants et polis, celui de Camille et d’Allan était bien ce qu’il devait être. Le mari était, comme on dit, parfait pour sa femme. Tous les procédés, toutes les attentions qui viennent autant de la délicatesse du cœur que de celle de l’esprit, il les avait. Disons même qu’il avait davantage quand madame de Scudemor n’était plus là… Mais si elle s’y trouvait, par hasard, il n’osait aucun de ces muets et charmants abandons qui sont, dans la vie domestique, si touchants sous ks yeux de la mère de la femme qu’on aime. Pour la plus simple des tendresses, pour un baiser donné en rentrant du jardin, elle était de trop.

Yseult savait-elle pourquoi le bonheur d’être la femme d’Allan rendait Camille si triste ?… Elle ne le lui demandait pas. Les âmes hors du commun s’entendent même quand elles s’éloignent. Camille aurait appréhendé une pareille question. Elle reconnaissait bien qu’elle n’était pas heureuse comme elle l’avait été, et comme, mariée, elle croyait l’être… Mais Allan, qui n’en avait pas, aurait-il eu des torts vis-à-vis d’elle et eût-elle aimé mieux sa mère qu’elle ne l’aimait, que les torts d’Allan, elle ne les aurait pas confiés. Quand une jeune femme accuse son mari dans des confidences à sa mère, ou elle est une âme sans noblesse, ou elle ne l’aime plus.