Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/374

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moment, l’enfer dans le cœur, l’enfer des passionnés qui n’ont plus de passion et qui en voudraient encore ! Il remarqua, quand elle fut sortie, avec joie la fuite de sa femme. Elle le laissait libre, et une pensée impétueuse et criminelle s’était emparée de ses facultés et subjuguait sa volonté. Après quelques minutes de silence il s’arrêta debout devant madame de Scudemor. On ne le voyait pas, mais sa voix disait tout :

— Yseult ! — fit-il de cette voix qui n’est plus une voix de gorge, mais de poitrine, et de cet accent bas qu’ont le hommes qui ont la terreur de ce qu’ils vont faire. — Yseult !

— Que me voulez-vous, mon enfant ? — lui répondit-elle.

— Pourquoi — fit-il sombrement — m’appelez-vous « votre enfant », puisque je suis le père du vôtre ?

— Parce que, — dit-elle avec son indicible noblesse, — je n’ai jamais eu que ce nom-là à vous donner.

— Vous avez raison, — dit-il, et il tomba comme accablé sur le canapé où elle était assise.

— Souffrez-vous davantage, ce soir ?… — lui demanda-t-il après un nouveau silence, comme s’il avait eu honte de lui-même.

— Oh ! Allan, — répondit-elle avec une intonation qu’elle n’avait jamais en parlant d’elle, — ce n’est pas moi qui souffre le plus !

Il comprit, car il resta muet. Mais ce n’était pas la pitié d’Yseult pour celle qui n’était plus là, ce n’était pas cette pitié divine qui pouvait faire rebrousser le torrent de pensées funestes qui entraînaient Allan et qui le jetaient au Démon.