Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/376

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Mot plein d’un reproche qu’il ne comprit point. Il ne comprit pas qu’elle fût inquiète d’une chose si simple, de ce qu’il ne revenait pas.

— Calmez vos terreurs d’enfant, — lui dit-il maussadement, — et remontez chez vous. Je vais vous y rejoindre dans quelques instants.

— Quand vous voudrez, mon ami, — répondit-elle. — Vous êtes le maître. Pardonnez-moi seulement d’être descendue… — Et elle s’en allait lentement en laissant la lampe sur la table.

Il fut touché de cette résignation : — Camille, — lui dit-il comme elle s’éloignait, — vous vous en allez donc sans me souhaiter le bonsoir ?

Elle lui tendit son front comme une petite fille et répondit, en retenant ses larmes : — C’est que je ne dormirai pas, quand vous viendrez…

Mais ces attendrissements rapides ne changeaient rien à l’état d’âme d’Allan, au contraire. Ils augmentèrent son angoisse. Il se rappela que cette vie, dont il s’était chargé, il n’avait ni la force, ni la volonté de la rendre heureuse. « Toutes ces lâches fourberies me pèsent, — pensa-t-il. — Il faut que j’avoue tout à Yseult. » Et il se mit fiévreusement à lui écrire, cherchant, comme toutes les âmes qui n’en peuvent plus, du soulagement dans des aveux.

Dans cette horrible lettre il lui disait : « Je n’ai pas peur d’être dur vis-à-vis de Camille, elle qui m’aime tant ! Je n’ai pas peur de son désespoir. Je n’ai peur, Yseult, que de ton mépris ! Voilà ce qui m’empêche de me tuer. Toi qui as souffert autant que moi et qui n’es qu’une femme, toi qui aurais pu, en versant quelques gouttes d’opium dans une cuiller à café, t’endormir mollement sur