Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/378

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effleuré que tes cheveux. Tu ne m’es plus rien, pas même une femme. Si tu le savais, pourquoi tremblais-tu ? Ah ! j’espérais, j’espérais que tout n’était pas fini. J’avais tant pensé à toi sur le cœur même de Camille ! Je lui avais tant de fois été infidèle pour toi dans mes souvenirs, que je croyais retrouver une émotion du passé auprès de toi, — l’horrible bonheur d’être coupable. Mais non ! non ! cœur et destin sont inflexibles. Je voulais l’inceste, et ni mon cœur ni mes sens n’ont eu la force de le consommer.

« Yseult, je suis las de ta fille. Toute cette chair me gêne à respirer auprès de moi, la nuit. Toute cette âme me fatigue à torturer le jour. Hélas ! cette lassitude est vaine. Mon métier de bourreau, je ne puis l’abjurer pour elle. Sa beauté ne lui a pas été une garantie. Pourtant, tu t’en souviens, Yseult, j’aimais tout ce qui était beau en toi autrefois. Tu n’as plus rien de pareil aujourd’hui. Tu ne m’as jamais aimé. Tu es vieille. Tu souffres. Tu es sur le point d’accoucher. Je ne t’aime pas plus que ta fille. Pourquoi donc, dans l’horreur de mon néant, suis-je retourné de ta fille à toi ? Ah ! misérables que nous sommes, savons-nous seulement nous tromper ? Il me semblait que mes souvenirs étaient du feu ; il faisait nuit ; je ne te voyais pas, Yseult. Même ces sens imbéciles ne pouvaient pas s’épouvanter… Oh ! s’il avait fait jour, si nous nous étions vus, n’est-ce pas que nous, les savants sur le cœur et ses incompréhensibles bornes, nous nous serions ri à la figure tous les deux ?… »