Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/393

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habituelle, sérieuse et très retirée, écartait aisément tous les soupçons. Le médecin qui l’avait accouchée fut mandé officiellement au château. Il dit à Camille que l’état de sa mère était grave, mais il ne le précisa pas.

C’était Allan qui restait le plus avec la malade. Il s’obstinait à ne pas la quitter, sous un prétexte ou sous un autre, quoiqu’elle insistât pour qu’il s’en allât aussi. En effet, si Camille n’avait pas été absorbée dans la pensée désespérante que son mari ne l’aimait plus, qu’aurait-elle pu croire en voyant Allan sans cesse au chevet de sa mère, qui voulait souffrir toujours seule et qui l’écartait, elle, si souvent ?… Mais Allan, qui avait tant trompé, était à bout du triste courage de la prudence. Peu lui importait ce qui devait suivre. « Tout finit par se décider », se disait-il, et il ne reculait pas devant le moment qu’il avait jusque-là envisagé avec épouvante… Il aurait volontiers tout avoué à Camille, — et s’il se taisait, s’il prenait des précautions encore, c’était pour Yseult, c’était pour Camille, c’était de peur de profaner le rapport qui existait entre la fille et la mère ; mais, à coup sûr, ce n’était pas pour lui qu’il les prenait.

Cependant, comme l’état dans lequel se trouvait madame de Scudemor offrait des dangers que le médecin n’avait pas cherché à dissimuler et qu’elle pouvait avoir besoin de quelqu’un la nuit pour la veiller, Allan dit à sa femme que ce serait lui qui veillerait auprès de sa mère : « Je dois faire pour ta mère — lui dit-il — ce que tu ferais toi-même si tu n’étais pas dans une situation qui demande une foule déménagements. » Il voulait faire allusion à sa grossesse, et il n’avait pas la force d’en parler autrement. Heureux mari, n’est-ce pas ? que celui qui n’ose pas parler à sa femme