Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/404

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découvert ni rien appris. J’ai passé sur cet Océan de la vie dont j’ai bu l’écume et le sel, et je n’ai pas jeté une seule fois mes filets démaillés au fond de ses gouffres car je savais qu’ils ne me rapporteraient ni une joie, ni une espérance. J’ignore ce qu’il y a de l’autre côté de la tombe, mais je ne m’en épouvante pas. Seulement, en cet instant, pourquoi ma pitié me paraît-elle petite et mauvaise autant qu’autrefois elle me paraissait grande et bonne ? Pourquoi ne fais-je pas quartier à cet instinct irrésistible que j’ai cru si longtemps généreux ? Pourquoi l’insulté-je à mon dernier jour ?… Ah ! j’ai l’âme encore assez ferme pour ne pas rejeter l’insulte que le monde répond aux intentions pures. Qu’ils m’appellent, s’ils veulent, une prostituée ; ils n’ont pas vu l’amour, ils n’ont pas vu la pitié qui m’emportaient, errante, aux bras d’hommes lâches et inexorables ! J’accepterai sans effort le mot sanglant qui résume ma vie. Pourquoi donc maintenant ma pitié, que je frappe et que j’apostasie ? Ah ! si, au lieu de mourir comme je meurs, il fallait recommencer de vivre, que me resterait-il sans ma pitié ? L’amère chose que cette ignorance ! Ne plus croire en ce qui dirigeait la vie, chercher en vain un autre motif dans les ténèbres de la conscience muette, et se punir par le remords et le froid du mépris de ne l’avoir pas su trouver ! La douleur d’Yseult était presque sainte. Elle l’élevait au-dessus d’elle-même. Allan se rappelait le temps où il l’avait nommée une créature supérieure. Il voyait à quoi se réduit la supériorité de la femme, qui n’a jamais que des facultés sensibles et qui est toujours la victime, en vertu autant qu’en bonheur. Ce quelque chose qui échappait à Yseult, quand le roseau sur lequel elle s’appuyait avait percé ses mains, ne lui échappait pas, à lui… Il comprenait à