Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/406

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raient déjà, aux suaves clartés d’un albâtre timidement rosé, les teintes hâves et violacées d’une décomposition prochaine ; et tantôt il les relevait, comme pour les purifier, vers le ciel qu’on voyait par la fenêtre ouverte d’un azur aussi fleurissant que s’il venait d’éclore, à l’heure même, comme une des belles-de-nuit du jardin. Il comprenait mieux le culte de l’Invisible. Yseult, quoique son visage fût tourné du côté de la fenêtre, ne souleva pas une seule fois les yeux sur ce ciel si beau… Non, elle mourait sans poésie, comme elle avait vécu, ne se doutant pas qu’il y eût au monde une nature à aimer encore quand le cœur épuisé n’aime plus rien. Parfums, silence, ombres, rayonnements d’étoiles, cette nature parait le lit de mort de celle qui l’avait méconnue de toutes ses sérénités. Tout à coup, à travers l’immense et diaphane espace, minuit sonna au clocher d’Ifs, paroisse qui n’était pas loin de là. Il sonna en heures légères et perlées qui tintèrent et s’évanouirent dans l’air amorti de cette nuit sans échos, quand, poussée par je ne sais quelle vague et fatale inquiétude, Camille entra dans la chambre d’Yseult. N’y avait-il que le pressentiment de l’agonie de sa mère qui l’avait troublée dans son sommeil ?…

Allan, en la voyant entrer, ne devint pas plus pâle. Son œil qui cinglait, dans le mouvement plus fier et plus pur de sa pensée, du lit de la mourante vers le firmament éternel, alla droit à Camille et resta sur elle. Nulle horreur n’effleura son front d’où s’exhalait la teinte automnale d’une souffrance qui va fuir. Il demeura calme comme l’avait été, durant sa vie, la femme qui mourait pour lui. Pour la première fois il se sentit fort, contre la colonne de cette couche, fort de toute une destinée qu’il acceptait,