Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/408

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releva celle qui était évanouie. Camille reprit bientôt connaissance. Quand elle r’ouvrit les yeux, elle aperçut son mari debout, mais près d’elle, le drap rejeté par lui sur la figure d’Yseult morte et les cheveux coupés, épars, sur e tapis. Elle fut saisie d’amertume en voyant ces choses… « Tu ne m’aimais plus ! — dit-elle à Allan, avec angoisse. — À présent, tu vas me haïr » ! Et elle se mit à pleurer. Il ne répondit point, mais il l’embrassa sur le front. Baiser paisible, qu’il donna d’une lèvre pleine et fraîche. Ce fut un châtiment pour elle. Ce ne fut pas même un effort pour lui. Ce ne fut qu’un bon sentiment. Quand il l’eut embrassée il retourna vers le lit d’Yseult, s’assit auprès et continua de veiller. Il ne dit point à sa femme : va-t-en ! — et elle ne s’en alla pas. La lampe s’éteignit vers une certaine heure, et le reste de la nuit s’écoula, noir et silencieux… Quand le jour vint, l’enfant réveillée criait dans sa couverture de satin rose. Camille, pliée en deux à la même place où Allan l’avait mise après l’avoir relevée, poursuivait sa stupide insomnie sans se retourner aux cris de l’enfant qui pleurait. Les entrailles du père entendirent mieux. Il se leva, prit la petite créature, qui chercha vainement la mamelle à la poitrine de son père. Spectacle étrange ! c’était l’homme qui tenait l’enfant. Il l’emporta de cette chambre, odorante et malsaine, où sa mère venait de cesser de vivre… Camille le suivit, la tête basse et en silence, repassant, brisée et confondue, sur le seuil qu’elle avait franchi, rapide et terrible…

Quelques heures avalent suffi pour cela.