Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/41

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maternel, et, ayant fait asseoir Allan sur le canapé à côté d’elle :

— Mais si vous restez ici, — dit-elle, — je veux, Allan, que vous promettiez de m’obéir. Me le promettez-vous ?…

Cet homme, qui avait sur la lèvre moins de duvet que la femme qui l’interrogeait, répondit « oui » comme une innocente le jour de son mariage.

— Eh bien, Allan, — reprit-elle, — je veux que vous renonciez à la solitude dans laquelle vous consumez vos journées. Je veux que vous renonciez à la vie oisive et isolée que vous recherchez depuis trop longtemps. Il y a cette année beaucoup de monde aux Saules ; il y a des jeunes filles de votre âge. Ne les fuyez pas comme vous avez fait jusqu’ici ; restez avec nous le soir, dans le salon, quand vous aurez passé la journée dans des études qui vous auront distrait d’une préoccupation trop absorbante. Et lorsque votre esprit ne sera plus capable d’une attention soutenue, quand les troubles de votre imagination seront trop grands, venez me trouver toujours ; car, voyez-vous, mon jeune malade, — ajouta-t-elle avec une grâce inattendue, — je suis beaucoup moins dangereuse pour vous de près que de loin.

— Oh ! si j’ai tant aimé la solitude, — répondit Allan avec la tristesse touchante d’un cœur soulagé, — c’est que je n’avais personne qui s’intéressât à ce que je souffrais. Je craignais…

Il hésita… — Que craigniez-vous ? — demanda-t-elle.

— Que vous ne vous moquassiez de moi, — fit Allan, — et Dieu sait s’il y a de la vanité dans ce que je vous dis là ! Je ne vous aurais pas haïe, mais je sens que j’en aurais été plus malheureux.