Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les moins nobles de nous-mêmes, quand il n’y a plus que nous avec nous… La solitude est un fait divin, inapplicable aux hommes. Ils n’y résistent pas quand ils osent se l’approprier.

Allan ne quittait presque plus madame de Scudemor. Pouvait-elle s’en plaindre ? Ne le lui avait-elle pas dit, enjoint, ordonné ? Quoiqu’elle eût pris avec lui le langage de l’expérience, Allan ne la connaissait pas assez encore pour qu’une vague espérance ne se jouât dans toutes ses pensées. Et, d’ailleurs, la passion a parfois des ruses de modestie dans ses vœux qui devraient faire frémir sur les suites de l’hypocrisie ou de la déraison de nos sentiments. Peu lui suffit, d’abord, à cette Vorace qui veut tout plus tard. Allan était heureux du mystère qu’il y avait entre lui et madame de Scudemor. Depuis le jour où elle lui avait parlé tête à tête, et malgré les défiances de son caractère (toutes les grandes imaginations sont défiantes), il portait plus légèrement la vie, rendu pour quelque temps à cette admirable fatuité de la jeunesse, confiance extravasée sur toutes choses, bouche et narines ouvertes à tous les souffles de l’avenir. Il répondait, avec la céleste gaucherie d’un sentiment vrai, aux plaisanteries doucement moqueuses des femmes venues de Paris pour passer l’été aux Saules, et qui n’avaient pas vu sans le remarquer le changement d’humeur de ce beau jeune homme qu’elles auraient désiré un peu plus occupé d’elles. Mais aucune n’était, aux yeux d’Allan, comparable à cette Yseult de Scudemor que, sans doute, elles appelaient passée dans leur orgueil de fraîcheur et de beauté, et aux pieds de laquelle il prosternait tous leurs printemps humiliés.

On l’a vu, ce qui caractérisait l’amour d’Allan pour