Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/50

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un Dieu caché qu’on adore, et jamais nous n’avons défailli, auprès des vierges les plus charmantes, comme en sa présence ou à son approche nous nous sommes sentis défaillir.

Et l’imagination, — cette racine noueuse des passions, — et l’imagination trouve son compte à ces incompréhensibilités humaines. Ne croyez point qu’il y ait dans cet amour d’Allan pour madame de Scudemor, de l’adolescent pour la femme vieillie, quelque chose de plus glorieusement immatériel que dans tout ce qui porte le nom d’amour. Pour changer d’objet, la passion ne change point de nature. Elle a toujours sa causalité et son but dans la fange de notre chair, cercle dont les deux bouts se rejoignent et se confondent on ne sait où…

Et d’ailleurs, la beauté qu’on aime et qu’on préfère est un secret que l’imagination garde à jamais. Cheveux cendrés par les années, sur un cou qui a perdu les mollesses du pâle azur de ses belles veines ; yeux dont la flamme, dans des prunelles un peu ternies, se concentre au lieu d’irradier, comme si le cœur avait absorbé dans ses sables arides les flots de lumière et de larmes qui s’y jouaient ; bouche où l’haleine n’est plus fraîche, mais ardente ; tempes plus expressives et plus élargies sous la couleur de jour en jour plus meurtrie d’un bistre mat, n’y a-t-il pas en vous la volupté autant que dans les efflorescences de la jeunesse ? Ne dirait-on pas que l’âme, comme la nature, fait fleurir dans les ruines ses plus beaux gramens ? Et l’imagination développée n’arrive-t-elle pas, en toutes choses, à ce que les imaginations moins riches et restées en deçà de ses développements, osent appeler une dépravation ?…