Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/52

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existence. Si les jeunes filles vous faisaient leurs confessions, elles vous diraient que là, surtout, elles se sentent rougir sans savoir pourquoi… C’est probablement l’air aux lilas, aux jasmins, aux ardeurs du midi et aux fraîcheurs du soir qu’on y respire, qui leur apporte ces rougeurs soudaines avec les ondulations de la rivière et les frémissements des ébéniers. Quand on a la tête sur son ouvrage, que de longs cheveux pendants et bouclés font ombre sur les mains qui brodent et cachent le visage incliné, on sent s’enfler sa gorgerette en entendant l’oiseau qui chante et dont la poitrine se gonfle aussi. Ce sont là les silences de deux heures de relevée, dans le salon aux fenêtres et aux persiennes fermées du côté du midi et ouvertes du côté du nord. Mais le soir, oh, le soir ! ou qu’on reste à quelque embrasure à regarder l’horizon, la tête dans sa main, ou qu’on s’en aille rôder dans quelque allée solitaire, la nuit heureusement est tombée et on ne sait plus ce qu’on devient. Dans cette liberté et cette négligence de toutes choses, y a-t-il un livre oublié au coin d’un fauteuil, c’est quelque poète, Lamartine ou Alfred de Musset, ou cet autre dont les chants de bouvreuil blessé furent écrits sur des feuilles de rose sauvage, avec le sang le plus foncé de son cœur… c’est un roman plus triste encore, de la différence d’une vie racontée à un soupir échappé… et l’on en a pour huit grands jours de ces étouffantes lectures à baigner, pour les rafraîchir dans son haleine, déposée longuement sur le mouchoir qui garde le secret des larmes, ses pauvres yeux enflammés. Ce sont là des riens, — de bien innocents détails, — mais il n’est pas un de ces riens, pas une de ces insignifiances qui ne cache un péril affreux. La peste ne peut-elle nicher dans