Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/65

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paraissait dans les grands yeux de la comtesse de Scudemor. Allan avait bien vu, du reste ; Camille avait hérité de ces yeux-là. Seulement, chez l’enfant ils étincelaient de ce feu humide qui est si doux, et, chez la mère, de ce feu sec qui est si âpre.

Le plafond se rompait à la fenêtre ouverte, et, à la place, on voyait une nappe d’un bleu noir, semé d’or. C’était le ciel, rayonnant des mille aigrettes de ses étoiles. La nuit était profonde. Le marais, au loin, silencieux. Il n’y avait pas un souffle dans l’air et la pendule piquait, à temps égaux, le silence universel de ses tic-tacs imperceptibles.

Après un quart d’heure d’immobilité et de pensée, Yseult de Scudemor se leva, mit ses pieds nus dans ses pantoufles, et jeta sur la mousseline presque transparente qui la couvrait un manteau de velours noir, oublié au dossier d’un fauteuil ; puis, prenant la veilleuse, elle s’assit en face d’un secrétaire qu’elle ouvrit. Elle était majestueusement belle alors. Elle s’harmonisait avec une sympathie si extraordinaire avec la magnifique nuit qui l’entourait, que l’amour d’Allan eût été compréhensible à ceux qui l’auraient vue, même aux plus sensuels en amour. Les femmes de quarante ans ne resplendissent qu’entre minuit et une heure. Ceux qui ne les ont pas vues à cette heure-là, ne peuvent en parler. C’est « l’heure des morts », dit la Ballade. Aussi la vision de la Jeunesse, revenant rose et mélancolique plus beau et plus touchant que la vie, s’élance du cercueil pour quelques instants jusqu’à ce que le Matin, auroral et blondissant, ne trouve plus que la pâleur fauve, l’œil fatigué, la ride visible, les flétrissures, — toutes les vengeances d’un jour qui étincelle parce que cette