Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/71

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VIII

Deux jours avaient suivi cette lettre. Aucun événement insolite n’avait eu lieu au château des Saules. Les heures s’y enchaînaient aux heures de la même façon qu’à l’ordinaire. Comme les jours précédents, on y vivait avec cette diffusion, ce laisser-aller, cette non-curance dont on jouit si bien à la campagne. On ne s’occupait les uns des autres que le soir, parce que le soir, les promenades finies, on se rassemblait dans le grand salon. Des jeunes femmes qui se trouvaient là jouaient du piano ou de la harpe, les fenêtres ouvertes, au clair de lune, assez avant dans la nuit ; ou l’on causait de Paris, de l’hiver prochain, d’une brochure nouvelle. Cette vie-là, on n’a pas besoin de la décrire. Tout le monde la sait.

Au milieu de tous ces corsets où la chair respirait en repos, parmi ces dandys, des Italiens et ces femmes mignardes et pâlottes, aux yeux en amande et aux poignets d’Andalouse, dignes odalisques de sultans si éreintés de cœur et de corps, il y avait un drame pourtant, un drame, cette chose rare ! qui se jouait entre deux personnages comme entre Pygmalion et sa statue, et que tous ces yeux de myope ne voyaient pas à travers leurs lorgnons carrés.