Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/75

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là, du côté des terres, car le château et les jardins des Saules dessinaient un isthme dont la pointe était le marais, on entendait chanter un rossignol, et c’était une mélancolie de plus que ces modulations d’oiseau veloutées par la distance et qui ébranlaient seules le silence infini de l’espace, où, de temps à autre, il passait un souffle muet.

Mais la nature était un livre fermé pour Allan. Il regardait, à travers les interstices des feuilles, les fenêtres du château des Saules, points lumineux dans l’obscurité. Il épiait avec anxiété le moment où l’on quitterait le salon, et où chaque personne se retirerait dans son appartement.

Au bout d’une heure, il entendit venir d’un pas ferme et rapide. Il aurait fallu le poignarder juste au milieu du cœur pour lui trouver du sang. Tout ce qu’il en avait battait là.

— Vous êtes là, n’est-ce pas, Allan ? — fit madame de Scudemor, d’une voix tranquille. Un oui indistinct — car l’émotion colle la voix à nos gorges au point que nous ne pouvons l’en arracher — fut toute la réponse qui suivit.

Sous ces arbres, on n’y voyait goutte… Elle s’assit sur le banc, assez loin de lui. Heureusement pour elle, il n’avait que dix-sept ans et il l’aimait ! mais s’il avait eu davantage, ou qu’il l’eût aimée moins, pour peu que, par hasard, dans le rapprochement de ce banc, il eût touché seulement du sien ce bras qu’il avait tant admiré dans le salon, ah ! comme elle eût payé cher cette imprudence d’un rendez-vous dans les ténèbres donné à un homme qui meurt de désir !

Mais il l’aimait d’un amour vrai et timide, du premier amour de la vie ; seulement, qu’avait-elle donc, elle, pour être si follement imprudente ?…

Ce qu’elle avait ? Le malheureux allait l’apprendre !